[B.5.] Le Chant du Monde [1938-1939]

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Le Chant du Monde (LCDM) est déposé au registre du commerce le 24 novembre 1937 par Arlette de Jouvenel, sa directrice, épouse de Renaud de Jouvenel, un riche compagnon de route du Parti communiste dont les fonds permettent la création de l’entreprise. LCDM est supervisé par Léon Moussinac, qui définit son cadre esthétique. Sa direction artistique revient au compositeur Henri Sauveplane, qui écrit régulièrement sur le rôle social et politique de la musique dans « l’Humanité ».

LCDM peut être considéré comme l’organe de diffusion discographique de la politique culturelle, musicale, qu’élabore la Fédération musicale populaire avec le concours de membres ou de compagnons de route de la SFIC. Bien que sans attache partisane officielle ni même explicite, LCDM propose des disques et des partitions de chants prolétariens, mais aussi et surtout de chants folkloriques français arrangés ou harmonisés pour l'occasion par des compositeurs (Charles Kœchlin, Darius Milhaud, Arthur Honegger, Henri Sauveplane…) et une compositrice (Elsa Barraine), pour la plupart membres de la FMP. LCDM permet ainsi de donner une forme sonore à la partie musicale de la politique culturelle de la SFIC, laquelle vise à combattre la musique commerciale, abrutissante, destinée alors au peuple pour servir les intérêts de la bourgeoisie, par une musique populaire à la fois accessible et exigeante, utile à l’édification intellectuelle et artistique de toutes et tous.

La majeure partie du catalogue de LCDM est donc consacrée à la réactualisation du folklore musical français. Les arrangements musicaux qui la constituent sont comme des mises en scène de courtes histoires tragiques ou joyeuses, représentant des échantillons d’une condition populaire certes ancienne, mais permanente et donc toujours recevable et émouvante à la fin des années 1930 : rudesse du travail des champs ; pauvreté des paysans ; injustice de la guerre, etc. Ces histoires musicales, ou musicalisées, transmettent des affects et des symboles qui ne sont associés officiellement à aucun parti politique, mais appartiennent au champ des valeurs humanistes que revendique la SFIC.

La série « La Voz de España » paraissant en 1939, propose également de la musique folklorique, cette fois espagnole, rassemblant les airs de plusieurs régions d’Espagne dans des arrangements modernes. Elle donne elle aussi à entendre la représentation musicale du peuple comme entité anhistorique, dont les racines anciennes sont réactualisées, modernisées, manifestant ainsi une permanence, ou une essence, que peuvent s’approprier les organisations politiques pour porter leurs projets.

Les disques LCDM apparaissent donc comme les médiateurs d’une éducation sentimentale et esthétique apartisane mais utile à la SFIC. Leur qualité musicale étant reconnue par des critiques étrangers au communisme, on peut penser que la stratégie qu’ils servent est un succès. Elle achève dans tous les cas de montrer la musique comme un moyen pour les partis politiques de s’adresser à celles et ceux qu’ils doivent convaincre, quand le discours serait plutôt tourné vers la motivation de leurs militants.

LCDM, qui n'enregistre aucun discours, se montre aussi comme la seule maison de disques politiques exclusivement musicale. Dernière maison importante fondée avant la fin des années 1930, on peut la comparer à la première série discographique de cette décennie, « La Voix des Nôtres, dédiée au discours, et penser que l’efficace de la propagande sonore de masse s’est déplacé du discours à la musique. Il semble cependant qu’à l’issue des années 1930, la propagande du quotidien soit devenue le domaine privilégié de la musique, et que celle de l'agitation soit réservée au discours. Saisie pendant l’Occupation comme bien juif, LCDM réapparait peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Elle reprend une activité similaire à celle engagée à son origine, diversifiant son offre, proposant des musiques folkloriques européennes et américaines, des chansons sociales, ou de la musique soviétique pendant plusieurs décennies.

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